Saint-Quirin: Une légende usurpée?

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Situé entre Metz, Nancy et Strasbourg, le village se niche en Moselle, au pied d'un sommet des Vosges, le Donon (1007 m) en Alsace (Bas-Rhin). Saint-Quirin est un fief refermé sur lui-même, une cuvette cernée de collines masquant l'horizon. Il y a peu de temps encore, on ne sortait pas du village. Coupé du reste du monde, un patois oral s'y est développé, une langue -ou plutôt un langage- sans grammaire ni structure. Difficile de communiquer dans ces conditions. Au fil des siècles, le village s'est retranché et est devenu la proie des seigneurs puis de l'Église. Il y a longtemps, à l'époque gallo-romaine, le village s'appelait (pense-t-on) Godelsadis. Les habitants vivaient plutôt sur les montagnes (...). Puis, ils se sont établis dans la vallée. C'est là que naquit la légende. Selon la tradition locale, les restes de Quirinus (soldat romain) restèrent collés sur la colline dominant le village. Une chapelle y fut donc érigée pour y recueillir ses restes. Lors de l'implantation du prieuré et de la construction de l'Église, les reliques du brave homme y furent descendues. Mais voilà. Cet acte ne fut-il pas un sacrilège ?

Pour remédier à cela, on imagina de remonter, une fois pas an, un bout d'os d'environ 12 centimètres, vers sa sépulture d'origine: la Haute-Chapelle. On a évidemment choisi le jour de l'Ascension pour organiser ce pèlerinage démesuré et anachronique (nous vivons au 21e siècle !) où se mêlent fanatisme religieux et coutumes marchandes et païennes... Après la remontée des restes, une foire gigantesque déferle sur Saint-Quirin alors qu'on ramène l'os à sa place dans l'Église, et ce, pour une nouvelle année... Oui, mais cette légende est-elle exacte ? Ou fut-elle empruntée et distillée à la sauce locale... Il ne peut y avoir logiquement qu'un seul Saint Quirin (Quirinus), sauf si le clergé a canonisé plusieurs Quirinus !


Diaporama: La «Haute-Chapelle» où auraient été conservés les restes de Quirinus, sans la tête - La fontaine Saint Quirin - Les orgues Silbermann - Le village - Annexe de Letenbach - Le plan d'eau - Le caveau des Chevandiers - Les Chevandiers - Seigneurs en alouette et animal fétiche - Chapelle de l'Hor - Temple romain, stelle, cirque, statue de Jupiter du Donon

Saint Quirinus - Les premières incohérences
Saint Quirin (Quirinus): évêque de Sisseck, en Pannonie
(1), martyr au quatrième siècle, honoré le 4 juin, le jour de l'Ascension. Mais l'Église honore aussi saint Quirin, prêtre et martyr dans le Vexin le 11 octobre... Sous l'empire de Traien (98-117), Quirinus, soldat et tribun, était gardien de la prison devant le Forum où, d'après la légende, les apôtres Pierre et Paul avaient été arrêtés. Parmi les prisonniers de Quirinus, se trouvaient le pape Alexandre 1er (107-116) et le préfet de la ville de Rome, Hermes, converti au christianisme. Quirinus interrogea son prisonnier Hermes sur les raisons de sa conversion. Mais celui-ci lui répondit de demander à Alexandre qui était détenu dans une autre cellule. Un miracle se produisit: Deux anges conduisirent Alexandre dans la cellule d'Hermes. Alors, Hermes raconta à Quirinus que son fils avait été ressuscité par Alexandre.

(1) Pannonie: Ancienne contrée d’Europe centrale entre le Danube et l’Illyrie, soumise par Rome de 35 avant J.-C. à 95 après J.-C.

Quirinus - Officier romain - La légende
Là-dessus, Quirinus avoua au pape que sa fille Balbina souffrait d'un mal de goitre. Il promit de se convertir sous la condition qu'Alexandre guérisse sa fille. Alexandre y consentit, mais exigea que Quirinus et Balbina se rendissent dans sa propre cellule. Alexandre voulait y retourner par le même moyen qu'avant et, quand Quirinus et sa fille entrèrent dans la cellule d'Alexandre, ils y trouvèrent le pape. Balbina voulait embrasser les chaînes d'Alexandre, mais celui-ci lui ordonna d'embrasser les chaînes de Saint Pierre. On les trouva, Balbina les embrassa et fut guérie. Sur quoi, Quirinus se fit baptiser avec toute sa maison et beaucoup d'autres gens. Aurélien, comte de Seleuica, avait reçu de l'empereur Traien l'ordre de faire tuer tous les chrétiens. Etant informé de la conversion de Quirinus et de sa famille, Aurélien fit fouetter Quirinus. Ensuite, Aurélien ordonna de lui couper la langue et de la donner aux oiseaux qui s'envolèrent sans y toucher. Mais Quirinus, emprisonné et tourmenté, résistait toujours. Aurélien lui fit couper les mains et les pieds, mais les chiens auxquels on les donna n'ont pas voulu les manger. Comme Quirinus, étendu par terre, restait invincible martyr du Christ, Aurélien fit chercher des chevaux pour traîner le cadavre sanglant à travers la région, mais les chevaux n'y parvinrent pas. Un homme qui devait aider avec son char et un boeuf, disparut. Finalement, Aurélien fit décapiter Quirinus. Quelques chrétiens enterrèrent le corps au cimetière de la Via Appia. Au milieu du 11e siècle, Gepa, l’abbesse du couvent des Bénédictines à Neuss (2) entreprit un voyage fatigant à Rome pour y rencontrer son frère, le pape Léon IX. Elle fut cordialement reçue avec son escorte par le pape. Son logis se trouvait à côté de l’église de Saint Pierre, à travers les fenêtres, Gepa avait une vue excellente sur les autels et les reliques. Une nuit, pendant ses prières, l’abbesse remarqua plusieurs anges, à la lumière de bougies, en train de vénérer quelques reliques dans un reliquaire. Ces phénomènes se sont répétés les nuits suivantes. Gepa apprit que c’était les reliques de Saint Quirinus, qui se trouvaient dans l’église et elle demanda tout de suite au pape de les emporter à Neuss. Finalement, elle eut l’accord du pape. Sur ce, Gepa et son escorte transportèrent les reliques de Saint Quirinus et celles de sa sœur Balbina à Neuss. Un soir, pendant le voyage, le groupe arriva en Alsace (là, il y a un hic...) sur une plaine cernée de montagnes (en fait, des collines) pour y passer la nuit. Le lendemain, quel grand malheur, les reliques étaient attachées à la terre et personne n’était capable de les déplacer. L’abbesse éclata en larmes et pria que Dieu lui laissât au moins quelques pièces des reliques. Finalement, Dieu eut pitié: la délégation pouvait emporter la tête du Saint. On construisit un abri (la chapelle de Saint-Quirin ?) pour le reste des reliques et Gepa demanda à une servante de rester là. La délégation arriva à Neuss avec la tête du saint martyr en 1050 (environ). Gepa ordonna la construction d’un nouveau couvent. Elle se consacra et donna tous ses biens au couvent et à Saint Quirinus. Elle fonda (...) une commune pour dames nobles menant une vie pieuse et agréable à Dieu.

(2) Neuss, ville d’Allemagne (Rhénanie, Westphalie), sur le Rhin, face à Düsseldorf. L'image de Saint Quirius se trouve sur les trois sceaux de la ville de Neuss.

Quirinus Patron de la ville de Neuss
De 1474 à 1475, il y eut à Neuss un tour de force entre l'empire allemand sous Frédéric III et le Duc de Bourgogne, Charles le Téméraire. La raison en était un conflit entre l'archevêque de Cologne et son chapitre, la noblesse et les villes. Une partie de la noblesse et les villes de Neuss et de Cologne se joignirent à Hermann de Hesse qui avait été proclamé "Capitaine et Défenseur" contre l'archevêque. L'empereur prit le parti de Hesse. Mais quand, le 29 juillet 1474, l'armée du Duc de Bourgogne attaqua Neuss, l'armée de l'empire n'était pas encore arrivée, et le mur extérieur de la porte de la ville sur le Rhin était en danger. Alors les habitants de Neuss s'en remirent à leur patron et marchèrent en procession avec la châsse des reliques de Quirinus à la porte menacée. Ils y supplièrent Dieu avec insistance. La porte fut sauvée et reçut le nom de "Porte de Saint-Quirinus". L'année suivante, l'armée impériale arriva au bord de la Erft. Le 29 mai 1475, un accord fut signé: le Duc devait renoncer au siège de Neuss. Le 5 juin, dans la conclusion de la paix, la ville fut remise aux mains de l'empereur et du pape. Tout le monde était convaincu que le patron de la ville avait aidé les habitants de Neuss. On ouvrit le sanctuaire et on célébra la messe. Les habitants de Neuss, les soldats impériaux aussi bien que ceux de l'armée du Duc de Bourgogne y participèrent, chacun signé par la croix de Quirin pour sacrifier au Saint: Les uns pour le remercier de sa protection, les autres, quoique ennemis, parce qu'ils avaient été épargnés. Entre 1475 et 1525, plus de 50 lieux de culte, chapelles, autels furent fondés. L'empereur Frédéric III nomma Chevalier de Saint Quirinus des habitants de Neuss qui s'étaient exposés pendant le siège. Les habitants de Neuss furent nommés "servants et serfs" de Saint Quirinus. Bien avant cette date importante, le Saint avait été imploré comme patron de la ville. Des soldats de Neuss, en danger sur la mer dans une guerre contre les Sarrasins au Portugal en 1217, supplièrent leur patron et trouvèrent un port sûr.

La même histoire selon d'autres sources
Saint-Quirin est situé à une quinzaine de kilomètres de Sarrebourg à l'extrémité sud de l'ancien Comté de Dabo. Le prieuré dépendait jadis de la riche et puissante abbaye bénédictine de Marmoutier, près de Saverne (Bas-Rhin). Les Gaulois y vécurent à l'ombre protectrice du Donon, montagne sacrée dédiée aux dieux mythologiques. Le lieu s'appelait "Godelsadis" (cella Godelsadis), du nom de Godel, un ermite qui avait enseigné la parole du Christ dans cette région alors sauvage. En 966, Louis de Dagsbourg offrit en donation Godelsadis à l'abbé François de l'abbaye de Marmoutier, sise à huit lieues (32 km)... En 1049, Geppa (ou Gepa selon les sources), abbesse de Neuss en Rhénanie et soeur du pape Léon IX, dont l'aïeul était Louis de Dagsbourg le donateur, décida d'emprunter l'ancienne route romaine pour ramener dans ses bagages les reliques d'un tribun romain, Saint Quirinus, supplicié en 132. Le cortège arriva sur le haut d'une colline où devait se trouver l'ermitage de Godel, aujourd'hui emplacement de la Haute-Chapelle qui domine le village. Le lendemain se produisit un miracle: impossible de charger la châsse contenant les reliques. Malgré efforts et prières, celle-ci était rivée au sol. Geppa laissa à l'ermitage les reliques et reprit son chemin vers Hesse en emmenant une partie du précieux trésor, la tête du martyr, à Neuss. Suite à un passage du pape Léon IX (novembre 1049) à l'abbaye de Hesse et à l'abbaye de Moyenmoutier, Léon IX s'arrêta à Godelsadis à la suite de quoi les reliques prirent le chemin de Haegen, situé dans la marche de l'abbaye-mère, au grand mécontentement des habitants de Godelsadis: ceux-ci attribuèrent bientôt au départ de Saint Quirin les calamités qui frappaient le pays. S'adressant au Comte de Dagsbourg, ils obtinrent la restitution des reliques en leur lieu primitif. C'est alors que le Comte fonda le prieuré de Saint-Quirin, qu'il dota richement. C'est là l'origine du pèlerinage le jour de l'Ascension, allant de l'église à la Haute-Chapelle... Les pèlerins du XX ème siècle ne se rendent plus au Donon mais dans la vallée proche pour y prier, non plus Mercure ou Jupiter, mais un tribun romain, avec en arrière-goût le culte païen de la source, le culte gaulois du chêne et le transfert de la dévotion aux dieux païens à un martyr de surcroît romain... L'histoire de Saint-Quirin est jalonnée de procès entre clergé et clergé et, en novembre 1769, le prieuré fut supprimé. Les religieux de saint-Quirin se retirèrent définitivement à Marmoutier. Puis la Révolution arriva et avec elle les Chavandier de Valdrôme.

Les Chevandier, seigneurie de Valdrôme
Faisons une petite escapade dans la Drôme, à Vallis Dromae (Vaudrôme ou Valdrôme). En 1750, une partie de la Terre de Valdrôme est vendue à un certain François Chevandier, châtelain épiscopal de la Terre, issu d'une famille de seigneurs, les De Chevandier, dont les origines remontent à la Savoie (retenons bien cet élément, il aura plus tard une signification précise). Opposée à la Révolution Française, la famille De Chevandier de Valdrôme se trouve confrontée, dès 1792, aux premiers mandats d'arrêt. Certains furent guillotinés, les autres s'exilèrent... Le 17 Nivose de l'an XIII (1804), Jean-Auguste Chevandier (Lyon - Rhône-Alpes), devient copropriétaire des verreries de Saint-Quirin en épousant une certaine demoiselle Guaita, citoyenne de Frankfurt am Main (Hesse - Allemagne). Bientôt, les seigneurs De Chevandier vont s'ériger en maîtres absolus, renouant avec les coutumes féodales, et ce, des années après que la révolution ait aboli les droits féodaux... Le village et ses habitants sont maintenant leur propriété. Le plus étrange, c'est qu'en 2002, ils sont toujours adulés et vénérés comme des dieux. Cette soumission se répétera avec d'autres seigneurs... Dans les archives, nous pouvons observer des actes judiciaires, en faveur des De Chevandier, à Sarrebourg ou à Nancy. Donc, Saint-Quirin est désormais le fief des De Chevandier qui y rétablissent les privilèges révolus comme le droit de cuissage. Chaque future épouse doit d'abord passer par la couche des maîtres et le premier né du couple sera un Chevandier. Les enfants issus de ces amours contraints (mais acceptés dans la plus parfaite indifférence) auront donc quasiment tous un Chevandier comme père. Les Quirinois étant presque tous frères ou soeurs, cousins ou cousines, se trouveront vite affublés du surnom de «Chevandier». Aujourd'hui encore, lorsqu'on parle des habitants de Saint-Quirin, on dit: «les Chevandiers»... La famille Chevandier était en sus "locataire" de 12 000 hectares de forêts (communales et domaniales) réservés à la chasse. C'est sans aucun doute l'élément majeur de ce récit. Car d'autres viendront et perpétueront ce privilège. La famille Chevandier possède un château, l'église (les documents de l'époque sont incontestables), des corps de ferme, 60 bâtiments, des maisons, des chapelles et annexes dans toute la contrée, les verreries de toute la région et contrôle la municipalité, la justice, la gendarmerie (car il y en avait une, au lieu-dit "la Caserne") et les scieries environnantes.

Saint Quirin en Lotharingie
Depuis Charles Quint, la Lotharingie vit des bouleversements qui ne touchent apparemment pas le fief des Chevandier. En effet, Saint-Quirin y semble imperméable, ceci grâce à un pouvoir clérical ayant résisté à la séparation de l'église et de l'état décrété par la Révolution (L'église et les chapelles, rappelons-nous, appartiennent à la famille Chevandier). Revoyons succinctement l'Histoire de la Lotharingie... Sous Charlemagne, la Lorraine s'appelait "Francia Media". Le partage de Verdun (843) la plaça dans le territoire de Lothaire Ier, qui la donna, en 855 à Lothaire II, elle prit alors le nom de Lotharingie. En 959, elle fut divisée en Basse-Lorraine et Haute-Lorraine. Cette dernière, qui constitue la Lorraine actuelle, échut à la maison d’Alsace (XIe s.), puis à la famille d’Anjou (1431). Déclarée indépendante de l’Empire par Charles Quint (1542), la Lorraine fut amputée, au profit de la France, des Trois-Évêchés (1552) et du Luxembourg français (Thionville, Longwy) (1661-1681). Cédée à Stanislas Leczinsky en 1738, elle échut à la France à la mort de celui-ci en 1766.


Stanislas 1er Leczinsky ou Leszczynski est né à Lwów en 1677, il est mort à Lunéville en 1766. Il fut roi de Pologne de 1704 à 1709 et de 1733 à 1736. Élu roi de Pologne grâce à Charles XII de Suède, il s’enfuit après l’écrasement de ce dernier à Poltava en 1709. Il revint en Pologne à la mort d’Auguste II, se fit de nouveau élire roi en 1733, grâce au soutien de Louis XV, qui avait épousé sa fille en 1725, Marie Leczinska (ou Leszczynska - Breslau, 1703 ­ Versailles, 1768) dont elle eut dix enfants.

Jean-Pierre Eugène Napoléon de Chevandier de Valdrôme
Né à Saint-Quirin le 25 Août 1810, Jean-Pierre Eugène Napoléon Chavandier de Valdrôme, dont je vous épargnerai la liste de titres et de fonctions, fut ministre de l'intérieur sous Napoléon III, du 2 janvier au 10 août 1870 (1). Bien qu'Allemand dès 1871, le fief des Chevandier restera parfaitement imperméable aux coutumes germaniques. C'est toujours le patois propre au village qui fait figure de langue nationale. L'Église exerçant sur la population une emprise dictatoriale, le protestantisme, qui s'est répandu en Allemagne et en Alsace, ne pénétrera jamais le fief des Chevandier. Lorsque la Moselle redevient française à la défaite de l'Allemagne (1918, Traité de Versailles, 1919), les lois relatives à la couverture sociale, aux indemnités de chômage, aux jours fériés, etc... et décrétées par Bismarck furent toutefois préservées à Saint-Quirin. Les lois favorisant le monopole de la caste dirigeante et du clergé y subsistent (le Concordat). Par exemple, la chasse, la gestion des forêts par l'ONF ou le salaire et les avantages attribués au gens d'église: la paye d'un curé est calquée sur les grades militaires, sa solde est similaire à celle d'un capitaine ou d'un colonel. Il ne paye pas de loyer: les frais attenant au presbytère sont à la charge du Conseil de Fabrique, qui alloue en sus au curé une bonne et lui accorde le privilège de faire payer les messes. Il faut en effet "acheter" les messes et louer les bancs, sans oublier deux quêtes auxquelles on ne peut échapper. Les habitants doivent aller à confesse de manière régulière, un moyen idéal pour savoir ce qui se passe dans chaque foyer.

(1) Guerre de 1870 à l'issue de laquelle la Moselle fut rattachée à l'Allemagne (Traité de Francfort - 1871).

Fin d'une dynastie
Jean-Pierre Eugène Napoléon Chevandier de Valdrôme épousa en justes noces Marguerite Pauline Sahler (Kreuznach - Prusse), veuve de Charles Guillaume Vopelius, le 21 mai 1820. Il meurt le 2 décembre 1878 à Paris. Pauline Chevandier de Valdrôme meurt le 5 septembre 1901 à Cirey-sur-Vezouze. Le couple n'ayant pas eu de descendants, la dynastie des Chevandier s'est éteinte avec Pauline... Le château deviendra plus tard une maison d'enfants spécialisée mais il faudra attendre 1954 pour que l'école maternelle du village (propriété de la famille Chevandier) devienne enfin une institution laïque. Après Pauline Chevandier, on peut penser que Saint-Quirin va enfin se sortir de ce régime féodal d'un autre âge... Rien n'y fera. L'emprise des Chevandier est totale et subsiste. Saint Quirinus ayant été institué patron de la commune (à l'instar de la ville de Neuss en Allemagne), un autre culte va naître, celui des Chevandier. On va entretenir une nouvelle légende: celle d'une famille de seigneurs bienfaiteurs... Le clergé y parviendra de façon invraisemblable comme il a institué le culte de Saint Quirinus, un soldat romain, n'ayant visiblement rien à voir avec l'histoire du village... Déjà se profile à l'horizon une autre dynastie qui va, dès les années 1960, convoiter le fief et s'emparer du village.

Entre chapelle et église
Depuis 1871, la Moselle est allemande (Reichsland Elsass-Lothringen - Terre d'Empire). Nous passerons la première guerre mondiale, cela ne concerne pas l'histoire de Saint-Quirin... En 1919, la Moselle devient française. Mais tout cela ne semble pas avoir affecté le village qui ne parle toujours ni allemand ni français mais ce patois hermétique, pauvre et sans grammaire... Le 7 août 1940, la Moselle est rattachée au Gau de Sarre-Palatinant. Nous passerons également cet épisode qui sera sujet à un autre débat. Le 12 janvier 1945, les lois allemandes sont abolies en Moselle qui est à nouveau française... Le monde découvre [...] l'horreur des camps d'extermination... On pourrait penser que là, Saint-Quirin va s'ouvrir au monde ! La décennie 1950/1960, où le progrès technologique déferle sur tous les pays, épargnera le village qui en reste à son patois, où les tas de fumier ornent toujours les devants de portes et où les toilettes sont toujours une cabane en bois au fond du jardin... Aucune information sur le monde extérieur, le village est tenu dans un isolement total. C'est toujours le garde-champêtre, avec tenue et tambour, qui claironne les "nouvelles" à chaque rue du village. Avec trois à quatre messes obligatoires par jour, le curé est tout puissant et s'impose jusque dans les alcôves de la vie privée voire intime des habitants. Il dicte la conduite de la vie de chacun, de sa naissance à sa mort. Il excommunie, sanctionne, réprimande... Une fois de plus, aucun élément de la révolution culturelle et technologique des années 1950/1960 ne pénétrera le village qui vit encore au Moyen-Âge. Le plus surprenant pour un ethnologue serait de comprendre pourquoi le village ignore encore aujourd'hui qu'il a été allemand et a oublié les unions des Chevandier avec des dames du Saint Empire Romain Germanique (qui était alors le protecteur de l'Église)... Avec une facilité déconcertante, on va imposer le culte des Chevandier que l'on présente comme une famille se seigneurs bienfaiteurs et qui va s'ajouter au culte de l'os de Saint Quirinus. Le seul événement "étranger" qui sera intégré aux coutumes est le feu d'artifice du 14 juillet, tiré... de la Haute-Chapelle.

L'inavouable vérité
Il est impératif de révéler ici ce que tout le monde sait et que chacun a tu. Dans les années 1960, alors que le village est sur le point d'être clôturé par le tandem Floriot/Roussel, il reste figé aux coutumes d'asservissement à ses maîtres. Un exemple qui aurait de nos jours provoqué un scandale à l'échelle nationale fut parfaitement étouffé par les habitants eux-mêmes. Le directeur des écoles communales d'alors, qui fut également mon instituteur dans mon jeune âge (CM1), avait pour habitude de "garder" les petites filles dans sa villa en face de l'école, jusqu'à 21 ou 22 heures. C'était, d'après lui, pour "compléter" les cours de la journée. Pourtant, les petites filles racontaient. Mais comme au temps du droit de cuissage instauré par les De Chevandier, on s'incline et on se tait... Ce n'est pas tout. Il était de coutume d'infliger des punitions corporelles (très violentes, humiliantes, et sadiques, il faut appeler un chat un chat), comme déculotter les élèves et frapper leurs fesses (tournées vers leurs camarades) avec une longue règle en bois. Malgré les témoignages des enfants, tous identiques, on a laissé faire. On a couvert implicitement ces pratiques. Il en était de même dans l'univers clérical avec les châtiments infligés aux enfants de choeur. Un indice troublant: les classes des écoles communales, le presbytère, les salles de répétition de la clique et d'autres locaux sont tous inclus au prieuré. La cour de récréation est cernée d'une part par le caveau des De Chevandier et de l'autre par la fontaine où se dresse la statue se Saint Quirinus...

Les nouveaux seigneurs
Au tout début des années 1960, une étrange libellule de métal vient se poser au lieu-dit «Champ Didat». Quel drôle d'oiseau ! Tout le village est là et se prosterne. De l'engin venu du ciel sort un avocat qui, paraît-il, serait le plus important de France. Il se nomme René Floriot (1) et a choisi Saint-Quirin comme fief pour un projet dantesque. Quel village mieux que Godelsadis aurait pu correspondre à ce qui va suivre ? Du jamais vu au XXème siècle... L'avocat s'est allié à un autre richissime personnage, Roussel (laboratoires Roussel-Uclaff). C'est étrangement après une affaire douteuse en Algérie (l'affaire Kovacs, docteur en médecine - l'attentat contre Salan) que débarque à Saint-Quirin l'avocat de Petiot (entre autre) (2). Floriot/Roussel mettent le grappin sur leur fief et louent 800 hectares de forêts domaniales gérées par l'ONF. Impensable ! Leur projet ? Un parc à sangliers démentiel pour y organiser leurs chasses féodales... En 1962, le camp retranché des seigneurs est un café où déboulent des Mercedes de 8 mètres de long alors que les dieux arrivent du ciel avec leur Alouette. Les habitants attendent fébrilement chaque atterrissage pour aller acclamer leurs Maîtres bienfaiteurs et se prosterner à leurs pieds. Le ballet des personnalités les plus en vue ne faisant que s'accroître, les lieux deviennent vite inadaptés. Les seigneurs ont la bénédiction communale pour faire construire une villa (un pavillon de chasse) avec pas moins de 18 salles de bains, une terrasse pour l'hélicoptère, des gorilles empaillés victimes de leurs safaris et un luxe digne des palais royaux. Les villageois(es) y sont convié(e)s, mais à titre de domestiques et de valets... Nous sommes en 1963, Jean XXIII vient de rejoindre son paradis et Saint-Quirin en est revenu à l'époque féodale... En était-il seulement sorti ? C'est désormais une réserve de chasse où les habitants y sont considérés moins que des serfs.

(1) Célèbre avocat d'assises - (Paris, 1902 - Neuilly, 1978 ).
(2) Sous l’occupation nazie, le docteur Marcel Petiot, médecin et soi-disant passeur le jour, était en fait criminel en série. Il est l'auteur de nombreux meurtres effroyables commis envers les malheureux qu’il prétendait aider à fuir.

Des chasses... présidentielles!
Tout ce que la Gaulle (avec deux "L", par analogie à de Gaulle, le dictateur de l'époque) compte de ministres et de successeurs au Grand Charlot sera de la fête. Pompidou, Giscard, et la liste serait trop longue... Alors que Pierre Messmer (ex-premier ministre et ministre des armées) prend le contrôle de la région en qualité de député-maire de Sarrebourg (à 12 km de Godelsadis), les battues massives tranforment les forêts d'épicéas en une boucherie infernale. Les habitants sont invités à servir de chiens de chasse, ils sont sur place et sont moins exigeants que les vrais et ils sont bien plus faciles à dresser. Après les bains de sang inondant mousses et fougères, de vastes orgies sont organisées au pavillon de chasse et la gente féménine du village en est réduite aux tâches domestiques. Tout Godelsadis sert pieusement ses seigneurs... Tous, sauf un... Et là, l'histoire devient surréaliste... Le village est désormais entièrement clôruré par un grillage de 3 mètres de haut... On voit des miradors chaque 500 mètres et là où le grillage traverse une route, des grilles ont été placées et une porte à deux battants interdit tout passage si on n'a pas demandé la clef aux agents techniques de l'ONF... Les deux miradors de chaque côté des grilles et de la porte font songer à d'autres
(3) de sinistre mémoire (à 45 km du village. !). Non, vous nêtes pas dans un mauvais film de science-fiction... mais à Saint-Quirin, entre 1963 et 1978... Les bûcherons n'ont plus le droit de se rendre dans leurs coupes (4) lors des chasses... On les entendra aboyer et hurler pour rabattre le sanglier qui se fera sagement canarder par la noblesse n'ayant qu'à attendre que l'animal mette son groing pile devant le canon. Chaque jour, des tonnes de maïs, de pommes ou autres légumes sont déversées sur les 800 hectares du parc. Des mangeoires ont été construites, ce n'est plus un sanglier qu'on massacre mais un simple cochon domestique. On a assisté à des scènes abracadabrantes où le gibier, entendant le moteur des land-rover, et croyant que ceux-ci amenaient les vicuailles, ont dus être abattus dans les remorques où ils étaient grimpés tout seuls... et où gisaient déjà les carcasses de leurs congénères... On retrouvera également des carasses de cerfs majestueux auxquelles il ne manque que le trophée (la tête et les cornes). Le sanglier est devenu l'emblème du village; de partout, on vient visiter "la réserve de sangliers". Encore aujourd'hui, on trouve des cartes postales montrant les touristes offrant croutons de pain ou pommes aux sangliers qui viennent tranquillement manger dans leurs mains en se laissant tendrement caresser...

(3) Il faut avoir vu cela pour comprendre le malaise que pouvaient engendrer ces portes immenses croisées de bois.
(4) Parcelle attribuée à un ou plusieurs bûcheron(s) pour l'abattage et le façonnage du bois.

Le plan d'eau. Aménagé à la sortie du village et surplombant celui-ci, il est retenu par une digue en terre. Implanté au lieu même du dépôt d'ordures communal qui fut déménagé sur les hauteurs du village, il est alimenté par une rivière où pataugent les sangliers, juste à l'entrée du plan d'eau (vers la forêt, au fond). C'est hélas la stricte réalité. Aucune analyse de l'eau n'a été prise en compte, malgré des cas "d'infection" suspectes. L'eau de Quirinus ne peut être plus claire.

L'apothéose de la luxure
Floriot/Roussel importent les sangliers de Pologne... Sur les 800 hectares du parc, champs de patates, jardins et prairies sont quotidiennement labourés et ravagés par l'animal qui est chez lui, noblesse oblige, jusqu'au prochain sacrifice collectif, il doit être bien traité... Pas un habitant ne bronche... Les nouveaux seigneurs ont réussi mieux que leurs prédécesseurs... Oh, bien sûr, certains en savent peut-être trop et en ont assez ! Heureusement pour les Maîtres de Godelsadis, Saint Quirinus veille et une vague de suicides (terrifiants) va déferler sur le village. Oh, des documents disparaissent mais quoi de plus normal... Profitant de cette situation on ne peut plus inespérée, une caste va en profiter pour tisser un microcosme parfaitement hermétique et faire fortune... Qui oserait porter plainte contre le plus grand avocat de France, contre Roussel-Uclaff et contre les plus importantes personnalités politique du pays ? Il serait vite frappé par le mal de Saint Quirinus... Pourtant, des bruits circulent et des étranges ballets sont observés. Ici ou là, les festivités prennent des allures plutôt contraires aux bonnes moeurs [...] établies par la sacro-sainte Église. Quelques scandales vont éclater en Moselle (ballets roses) mettant en cause des personnalités importantes et des membres du clergé mais tout sera étouffé... La justice a toujours été à la solde des seigneurs, quels qu'ils soient... En 2002, rien n'a changé... En 1978, Maître René Floriot rend son âme au Saint et les Roussel disparaîtront dans une série noire d'accidents d'Alouette et de petits avions privés... La chasse de 800 hectares sera vendue mais les nouveaux maîtres se feront plus discrets, la clôture et les miradors vont lentement s'effacer du paysage... Le pavillon de chasse sera racheté par la commune pour devenir un asile de vieux... Mais c'est une autre histoire et si certains pensent qu'elle n'est pas très claire, qu'ils s'en remettent à Saint Quirinus... Les chasses existent toujours mais n'ont plus le caractère démentiel de celles de Floriot/Roussel. Saint-Quirin restera toutefois un refuge pour seigneurs en quête d'un lieu de non-droit ou de rampe de lancement vers d'autres sphères...

© 2002 by Michel Mahler - Le Réveil des Marmottes
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