L'application de l'avion spatial (antipodal)
fut adaptée pour le missile A-4, le A-4b. Le premier
tir de l'A-4b fut effectué le 8 janvier 1945. Un
échec, le système de guidage n'était
pas au point. Un second tir fut effectué le 24
janvier 1945 et se déroula sans problème
jusqu'à la phase balistique mais vers Mach 4, une
aile se brisa et l'engin fut détruit. C'est pourtant
la première fois qu'un engin avait franchi le mur du
son et avait atteint Mach 4, une vitesse qu’aucun autre
avion ne dépassera avant le X-15 en 1958 (en 1963, le
X-15 a établi le record absolu de vitesse: 7 297 km/h
ou Mach 6,75 et le record d'altitude: 107 960
mètres). Eugene Sänger avait commencé
à développer une fusée à
propergol liquide qui se refroidit par son propre carburant
circulant autour de la chambre de combustion. En 1933, le
projet le plus fou de l'humanité va servir à
imaginer la plus folle des armes, le «Silbervogel»
(l'Oiseau d'argent), un bombardier sub-orbital
propulsé par un moteur fusée, conçu par
Eugene Sänger et Irene Bredt (1). Ce qui aurait dû être le plus
remarquable engin volant conçu par l'Homme devint un
avion spatial destiné... à bombarder les
États-Unis.
En 1935, la Luftwaffe a
fondé un centre de recherches sur les fusées
à Trauen en Allemagne qui sera plus tard
installé à Peenemünde. Sänger fut
invité à s’y joindre. En 1938, Eugene
Sänger et Irene Bredt (sa future épouse) ont
fabriqué un modèle du Silbervogel et l'ont
breveté. Le DFS (Institut de recherche
aérospatiale) pour un avion qui pourrait atteindre
l'orbite terrestre a été créé.
Le Sänger antipodal avait un fuselage allongé,
des ailes très courtes et un empennage horizontal
situé à l'arrière de l'appareil avec
deux ailettes à chaque extrémité. Le
carburant était stocké dans deux grands
réservoirs de chaque côté de l'avion.
Les bouteilles d'oxygène étaient situés
de chaque côté du fuselage. Un énorme
moteur de fusée de 100 tonnes de poussée
était monté à l'arrière
bordé par deux moteurs de fusée d'appoint. Le
pilote était assis dans un cockpit pressurisé
dans la partie avant du fuselage et le Silbervogel avait un
train d'atterrissage tricycle pour se poser en vol
plané. La navette spatiale en 1938 en somme... mais
équipée d'une soute centrale pour une bombe de
près de 4 000 kg (la bombe atomique ?). Aucun
armement défensif n'était prévu (quel
avion allié aurait pu voler à cette vitesse et
aussi haut ?)... Le Silbervogel était lancé
sur un rail de 3 km de long à l'aide d'un booster
pour atteindre Mach 1,5. Il montait ensuite à
30° jusqu'à 145 km d'altitude avec ses propres
propulseurs et poursuivait son vol selon une trajectoire
balistique jusqu'à 161 km d'altitude à 22 100
km/h (Mach 18). Le Silbervogel n'a pas été
prévu pour dépasser l'orbite basse de la
Terre, il avait une autonomie de 24 000 km, largement assez
pour traverser l'Atlantique, larguer une bombe de 4 000 kg
sur les États-Unis et atterrir sur une piste dans le
Pacifiqueprès du Japon. Le Silbervogel n'a jamais
été opérationnel. On frémit
à l'idée de son utilisation par les Nazis mais
il s'en est fallu de peu, de très très
peu...
En juin 1941, les
installations pour des essais à grande échelle
sont construites mais l'Allemagne envahit la Russie. Tous
les programmes futuristes sont annulés, la
nécessité est de se concentrer sur les
conceptions d'avions classiques. La Luftwaffe a tout
essayé pour arrêter Eugene Sänger de
publier ses résultats mais des exemplaires
disparaissent... Après la guerre, la France demande
à Eugene Sänger et à Irene Bredt de
travailler pour le ministère de l'Air. Staline,
intrigué par les rapports de renseignements sur le
Silbervogel, envoya son fils Vassili Djougachvili et le
scientifique Grigori Tokaty kidnapper Eugene Sänger et
Irene Bredt afin de les conduire en URSS. Le plan a
échoué mais en 1946, un bureau de recherches
sur le concept du Silbervogel a été
créé en URSS. En 1949, Eugene Sänger et
Irene Bredt fondent la Fédération
Astronautique en France. La version soviétique du
Silbervogel propulsé par des statoréacteurs au
lieu de moteurs-fusées, le bombardier Keldysh, fut
développée mais jamais réalisée.
Le concept a servi de base pour une série de projets
de missiles dans les années 1960, heureusement, aucun
d'entre eux n'a vu le jour.
Après la guerre,
la plupart des scientifiques allemands se sont rendus aux
alliés, en particulier aux Américains (Von
Braun, qui conçut le Saturn 5 d'Apollo...) et se sont
exilés aux États-Unis. En 1950, Dornberger a
rejoint Bell Aircraft Company et reprit les travaux d'Eugene
Sänger et de Irène Bredt sur le bombardier
antipodal. La première réaction des Hommes fut
qu'un engin volant au-delà de Mach 5 ne pouvait
concerner... que ses missiles balistiques.
Décidément ! Depuis 1947, au NACA
(l'ancêtre de la NASA), un groupe d'ingénieurs
dirigé par John V. Becker travaillait sur les vols
hypersoniques. Aux États-Unis, le Silbervogel a
donné le X-20 Dyna-Soar lancé avec un booster
Titan II. Avec la création de la NASA pouvant
accomplir les missions du «bouclier spatial» (Star
Wars) censé détruire les missiles ennemis (qui
a échoué !), l'USAF (United States Air Force)
se retira des vols spatiaux et le projet Dyna-Soar fut
abandonné. Encore aujourd'hui, beaucoup de missiles
utilisent le concept de Sänger-Bredt. En 2010, nous
cherchons péniblement à fabriquer un "canot de
sauvetage" (la capsule Orion) pour la station ISS qui gravite
à 350 km (qui sera abandonée) et nous ne
pouvons plus aller sur la Lune. L'Homme a dû mal
comprendre quelque chose...