Nounours au Fort de Bellegarde

Mercredi 12 juin 2013

Depuis hier, il fait très chaud, lourd même. Moi, Nounours le motard, j'ai dit à mon pilote de profiter de cet été printanier pour visiter les Pyrénées-Orientales: «Je veux aller voir ce Fort de Bellegarde au-dessus du Perthus... De toute façon, tu dois aller au Perthus acheter des cigares... Alors, hop ! Sors la Kawa et allons au Perthus. Je n'y suis jamais allé moi...» Mon pilote, obéissant, a sorti l'Eliminator, moi, Nounours, j'étais déjà sanglé sur la Kawasaki depuis hier soir quand nous sommes rentrés de notre balade sur les ponts de Reynès. «Allez, démarre et allons au Perthus...» Nous sommes partis par la route de Maureillas-las-Illas, la montée vers le Perthus fut très agréable. Pendant qu'il est allé chercher ses cigares, des boissons (4 bouteilles avec cette chaleur) et des biscuits, j'ai discuté avec des touristes et avec des motards. Ils m'ont demandé si j'allais loin, je leur ai répondu: «Jusque dans le cosmos...» J'ai distribué mes cartes de visite, je serai bientôt plus célèbre que les Rolling Stones. Puis, nous sommes remontés au col et il a bifurqué à gauche sur la route qui monte au Fort de Bellegarde. Là, je me suis dit: «Foi de Nounours, avec son vertige, il va faire demi-tour...» La route n'est pas bien longue mais elle est très étroite et ça grimpe ! Les lacets sont terrifiants. Mais il est monté, il ne s'est même pas arrêté aux vues sur le Canigou, c'est dire s'il était tétanisé par cette route. II s'est arrêté une seule fois pour la vue sur l'Espagne, même moi je tremblais. Nous avons vu les traces de l'incendie qui a ravagé la Catalogne en juillet 2012, surtout le côté espagnol.


Puis, nous sommes arrivés au Fort de Bellegarde, je me suis dit à moi-même: «Mon brave Nounours, nous allons dormir ici, s'il a réussi à grimper cette route, il ne réussira jamais à la descendre (pour quelqu'un qui a un tel vertige, la descente est plus effrayante que la montée). La descente est à pic, la route est minuscule, les lacets sont effroyables et il n'y a ni muret ni parapet, si on rate un virage, on est directement au Perthus... en bouillie. Nous garons la Kawasaki Eliminator à l'entrée du fort à un mètre du vide plongeant sur l'Espagne. Et là, c'est peut-être la peur que tout s'effondre, il est remonté au poste de pilotage. Je l'ai grondé: «Quoi ? Nous repartons déjà ? Mais je veux voir le fort de l'intérieur, moi...» - «Nous y allons, Nounours...» m'a-t-il répondu, j'entendais ses mâchoires claquer. Effectivement, il est entré dans le fort... avec la moto. J'en ai déjà fait des balades mais celle-là restera la plus originale. Car on ne peut pas parler de ruelles, nous roulons sur les chemins de ronde du fort, nous passons sur des ponts-levis, me voici, moi Nounours le motard, Nounours le chevalier à Kawa dans un fort de garde... De toute façon, le fort est très grand, à pied, il ne serait pas arrivé à visiter ce que nous avons fait à cheval -à moto, pardon-. Et encore, nous n'avons pas tout visité, nous ne sommes pas allés tout en haut, au dernier étage. Il faut y aller à pied et il a trop de mal à marcher. Nous devrons y retourner car il y a d'autres sites archéologiques à visiter aux alentours. J'ai estimé la route pendant que nous grimpions au fort, ça doit être encore pire... «Mais nous irons Nounours, parole de chevalier...» m'a-t-il annoncé. «La prochaine fois que nous irons faire des emplettes au Perthus, nous irons voir ça de plus près...»

Le Fort de Bellegarde est situé au-dessus du Perthus dans les Pyrénées-Orientales, il a été construit par Vauban au XVIIIe siècle. C'est un vrai chef d'œuvre d'architecture. Le fort servait à surveiller les cols du Perthus et de Panissars. De sa terrasse, la vue est unique sur les Pyrénées-Orientales (France) et la plaine de l'Empordà (Espagne). Planté entre la France et l'Espagne, le fort domine les deux Catalogne... L'histoire de Bellegarde remonte au royaume de Majorque. En 1285, Pierre III d'Aragon était une menace pour le roi de Majorque Jacques II. Il fit bâtir une tour de surveillance au-dessus du Perthus prévue pour se défendre de façon autonome. Mais elle restait une simple tour de surveillance de 20 mètres de haut avec des murs épais de seulement 1,50 mètre. Durant le XIVe siècle, la tour fut délaissée et ne servait plus qu'au seigneur de la région pour obliger les voyageurs à payer un droit de douane. Le Perthus devient un territoire français après le traité des Pyrénées (1659). Durant la guerre de Hollande, Bellegarde est prise par les Espagnols en 1674 puis reprise par le comte Frédéric-Armand de Schomberg après dix jours de siège (29 juillet 1675). En 1679, Vauban visite Bellegarde et approuve le plan d'agrandissement que lui propose l'ingénieur Christian Rousselot de Monceaux. Il y apporte des corrections, dotant notamment la place d'une fortification double. En 1670, Louvois accepte l'essentiel du projet. Les travaux sont engagés... En 1793, les Espagnols lancent une grande offensive pour envahir le Roussillon. Le général Ricardos passe par le Vallespir et occupe Prats-de-Mollo le 25 mai 1793. Le 5 juin, le Fort Lagarde est occupé. Puis il descend la vallée et prend Bellegarde le 25 juin. Le fort restera espagnol pendant presque toute la guerre, il ne sera repris que le 7 septembre 1794 par les troupes du général Dugommier après un siège de 4 jours.

Le Fort de Bellegarde a une forme pentagonale. Le glacis qui l'entoure est d'environ 1 km. Cinq bastions protègent l'enceinte principale, tous en relation les uns avec les autres. Derrière le rempart, un deuxième mur intérieur protège le cœur de la forteresse, marquant ainsi trois niveaux: bastions, remparts et murs de protection. Au cœur de la forteresse étaient situés les bâtiments de la garnison pouvant contenir 600 hommes, une chapelle, un hôpital, une boulangerie, un moulin et un immense puits... La chapelle mesurait 11,20 m de large sur 12,50 m de haut. Les magasins à poudre étaient enterrés dans des petits bastions autonomes parfaitement aérés. La seule entrée du fort, la "Porte de France", a été protégée par un fortin en forme de demi-lune. Le puits est gigantesque, d'un diamètre de 6 mètres et de 62 mètres de profondeur, il fut creusé en 1698...



Nounours au site archéologique de Panissars

Samedi 15 juin 2013

Qu'il faisait lourd dans les Pyrénées-Orientales... Mon pilote a laissé de côté le blouson, les gants et quand il le pouvait, le casque intégral. Lors du briefing avant le départ, je lui ai dit de faire une halte au Perthus pour acheter des boissons et de quoi se restaurer. Nous avons d'abord fait une pause à Amélie-les-Bains histoire de préparer cette invasion à l'époque de la Rome antique, en 71 avant JC. Notre mission était de reconquérir le Trophée de Pompée par le Col de Panissars au-dessus du Perthus en empruntant la Via Domitia et la Via Augusta. «Nounours, je ne sais pas si la Via Domitia et la Via Augusta sont encore praticables même avec ta Kawasaki Eliminator...» - «Débrouille-toi, transforme-la en char de Ben Hur...» - «Bien Nounours. J'irai le plus près possible des vestiges archéologiques...» - «Et n'oublie pas de me prendre en photo devant les panoramas lors de la montée du col !» - «À tes ordres Nounours, c'est toi le commandant de bord et le chef-pilote-navigateur...» Nous arrivâmes au site archéologique de Panissars. Effectivement, il aura du mal à rouler dans les vestiges des rues de cette petite cité romaine datant de 71 avant JC. Mais il a réussi à aller à deux endroits le plus très possible du site. Pendant que je discutais avec une charmante dame et des touristes venus faire un pique-nique, je l'ai perdu de vue un long moment, il s'est engouffré à pied dans les ruines, il a dû en baver dans son état pour marcher là-dessus.


Vu le temps où il a disparu de mon radar, il a dû visiter tout le site et prendre le maximum de photos... et c'est moi qui récolte les médailles et les bisous des nanas. En effet, au retour, durant nos escales aux terrasses à Amélie-les-Bains puis à Arles-sur-Tech, de superbes nanas m'ont fait plein de bisous, j'ai un peu peur qu'il soit jaloux de mon triomphe. Je songe à faire construire le "Trophée de Nounours" à Arles-sur-Tech à la gloire de Nounours le motard bien évidemment. Mon pilote a également visité le cimetière du XVIIe siècle entre le Col de Panissars et le Fort de Bellegarde. Ce cimetière du XVIIe siècle comprend 40 tombes mais seulement deux d'entre elles ont des inscriptions lisibles.

En 71 avant J-C, le site de Panissars ("Summum Pyrenaeum"), était le point de jonction de la Via Domitia et de la Via Augusta. Les restes, visibles le long de la Voie Domitienne, sont vraisemblablement ceux du Trophée de Pompée érigé par Pompée, après la conquête de l'Espagne. Le site archéologique de Panissars, à la frontière entre la Gaule et l'Hispanie, matérialise cette jonction. Le site fut utilisé comme carrière de pierres pour construire les fortifications romaines du col du Perthus, la construction et la restauration des forteresses des Cluses (IVe siècle, début du Ve siècle). La construction d'un prieuré bénédictin dédié à Sainte Marie au XIe siècle -sur la route de Saint Jacques de Compostelle-, fit disparaître presque complètement ce qu'il restait du trophée. Les besoins en matériaux pour la construction du Fort de Bellegarde par Vauban achevèrent de faire disparaître le site -le Trophée de Pompée et le prieuré-. Néanmoins, la marque qu'avait laissé le trophée dans la littérature antique, le fait qu'il avait servi de modèle à d'autres trophées, notamment dans les Alpes, et les divers enjeux politiques sur l'établissement de la frontière entre la France et l'Espagne (par le Col de Panissars et le Col du Perthus ou par le massif des Corbières) favorisèrent la recherche des restes de ce site archéologique. Après de nombreuses recherches restées vaines le long de la Voie Domicienne, il fut redécouvert en 1983 sur le Col de Panissars.

Le trophée de Pompée est un monument triomphal élevé au "sommet des Pyrénées" (Summus Pyrenaeus), à la jonction de la Via Domitia et de la Via Augusta au Col de Panissars sur la commune du Perthus. Il marquait dans l’Antiquité la frontière entre la Gaule et l’Hispanie. Il est ainsi localisé par Salluste, Strabon, Pline l’Ancien, Dion Cassius et Exuperantius. Après la victoire des armées de Rome contre Quintus Sertorius en Hispanie en 71 avant J-C, Pompée a inauguré une nouvelle conception du trophée gréco-romain: délaissant le site de la victoire, il choisit d’implanter son trophée à l’entrée du pays reconquis par Rome. Sa forme architecturale s’inspirait sans doute des grands monuments turriformes hellénistiques (qui ont presque tous disparus: trophées, mausolées, phares), et peut être des réalisations d’Alexandre le Grand à qui Pompée se comparait volontiers. Seul trophée de la République de Rome de ce genre, le Trophée de Pompée est partiellement conservé mais restituable, il a vraisemblablement servi de modèle au Trophée des Alpes à La Turbie (Alpes-Maritimes), élevé en l’honneur d’Auguste en 7 avant J-C.

Le site fut exploité en carrière pour la construction et les restaurations des Clausurae (forteresses établies vers la fin de l’Antiquité) à 3,5 km sur le versant gaulois. Dépouillé jusqu’aux fondations à la fin du IVe siècle, il perdit une nouvelle partie de ses blocs au XIe siècle lors de la construction sur ses ruines d’une église qui accompagnait l’installation d’un village (mentionné dès le IXe siècle). Avec ses fondations arasées dès le IVe siècle puis remployées sous et dans les constructions médiévales, le trophée disparut de la mémoire collective. Vers 1097, le site devint le lieu d’un prieuré bénédictin qui, établi à l’entrée de la péninsule Ibérique, servit de halte sur le "chemin de Saint-Jacques" entre Perpignan dans les Pyrénées-Orientales et La Jonquera en Espagne. Lors de l'établissement de la frontière franco-espagnole (traité des Pyrénées, 1659), les blocs de parement, encore en place, qui avaient été intégrés dans l’église, furent récupérés pour la construction du Fort de Bellegarde. Le site n’était plus qu’un amas de ruines de la fin du XVIIe siècle jusqu’aux premiers travaux de déblaiement en 1983. Les fouilles entreprises en 1984 permirent d’identifier les vestiges du Trophée de Pompée (les fondations romaines sont à nouveau visibles: les tranchées taillées dans le rocher, le blocage maçonné et les blocs encore en place). Le site est aujourd’hui partagé entre la France et l’Espagne. Commencées sur le versant France par une équipe française en 1984, les fouilles furent étendues en 1990 en Espagne. Elles furent achevées conjointement en 1993.

La borne n° 567 de Panissars matérialise la frontière entre la France et l'Espagne, la borne n° 576 est au Perthus dans l'avenue de France (Avinguda de Catalunya). La borne pyramidale n° 577 sépare les deux pays. Le Perthus est à cheval entre la France et l'Espagne. Le Ravin de la Comtesse et la route nationale 9 le divisent en deux parties: le nord et l'ouest sont en France, l’est et le sud sont à Els Límits qui dépend de La Jonquera dans la province de Gérone en Catalogne espagnole. La partie française est plus peuplée que la partie espagnole qui est surtout commerçante. L'avenue de France (dans sa longueur) est la frontière entre la France et l'Espagne. Le Perthus a été partagé entre l'Espagne et la France afin que cette dernière garde la souveraineté sur le Fort de Bellegarde. Les Romains sont arrivés en Espagne dans le port d’Empúries vers 218 avant J-C. L’empereur Auguste a permis de récupérer d’anciennes voies pour les relier et créer la Via Augusta allant de Cadix à Rome (2 725 km). Les ingénieurs romains ont choisi le Col de Panissars, les routes et les autoroutes construites par la suite suivent le tracé des voies romaines.

© 2013 by Michel Mahler - Le Réveil des Marmottes


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